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Micha Lewinsky : « Quand j’écris, je suis attentif au rythme »

Lauréat du Prix du cinéma suisse 2008 pour Der Freund, son premier long-métrage, Micha Lewinsky est né en 1975 à Lausanne, en Suisse. Micha Lewinsky a connu plusieurs vies professionnelles. Tour à tour journaliste, producteur musical et responsable d’un centre culturel, il a entamé en 2000 une carrière de scénariste, avant de se lancer dans la réalisation en 2005.

Propos recueillis par Patrick Claudet, mai 2008

/script: Micha Lewinsky, qu’est-ce qui vous a décidé à passer derrière la caméra?

Micha Lewinsky: J’ai toujours pensé que le métier de réalisateur serait la synthèse de tous les autres que j’ai exercés. Cela s’est confirmé dès le tournage de mon court-métrage il y a trois ans. Bien entendu, le scénariste reste à la base de tout, mais c’est le réalisateur qui a le pouvoir de matérialiser les mots en images. Ce travail est pour moi une manière de fusionner tous mes centres d’intérêt.

Le film frappe par l’élégance de sa mise en scène. Comment avez-vous développé le concept visuel?

C’est l’histoire d’un homme, Emil, qui n’ose pas vivre. Il vit caché dans ses rêves et observe le monde en gardant ses distances. D’où l’idée de placer des vitres entre le lui et son entourage. Ce parti pris s’illustre dès la scène d’ouverture, lorsqu’Emil se rend en bus au Helsinki Klub et que l’on voit les lumières de la ville se refléter dans la glace. Pour l’anecdote, nous avons dû inventer une technique de prise de vues pour réaliser ce plan à priori anodin. En effet, comme nous n’avions pas les moyens (financiers et techniques) d’installer une caméra à l’extérieur du bus, nous avons placé une vitre à l’intérieur du véhicule, derrière laquelle s’est assis le comédien.

La direction d’acteurs vous a-t-elle posé problème?

J’avais suivi des séminaires de FOCAL mais fondamentalement je crois que ça ne s’apprend pas. Il faut comprendre ce que les acteurs veulent et comment ils travaillent. A travers mon expérience personnelle, j’ai appris qu’un acteur préfère savoir pourquoi il fait quelque chose plutôt qu’on lui dise comment le faire.

Vous êtes-vous senti à l’aise dans ce nouveau rôle?

J’ai essayé d’être court et précis quand je donnais mes indications. En même temps, cela n’était pas totalement nouveau: quand j’étais journaliste, j’ai souvent eu des discussions nourries au sujet de nouveaux layouts, durant lesquelles je devais exprimer ce que je voulais et parlementer pour trouver un compromis avec mes interlocuteurs.

Tous les scénaristes sont-ils selon vous des réalisateurs en puissance?

Non. Il faut aimer être le centre d’attraction, ne pas avoir peur d’être le chef. Durant les cinq semaines de tournage, j’ai vécu un "ego trip" qui m’a beaucoup plu mais qu’il faut assumer jusqu’au bout.

En quoi est-ce un avantage d’être scénariste quand on réalise soi-même?

Il existe d’excellents réalisateurs qui n’écrivent pas leur film. Ceux qui le font, toutefois, bénéficient de l’expérience acquise en développant des histoires. Les écoles de cinéma devrait d’ailleurs mettre davantage l’accent sur l’enseignement du scénario.

Comment s’est déroulée l’écriture de Der Freund?

Le développement a commencé dans le cadre du séminaire Step by Step organisé par FOCAL. J’ai écrit seul mais j’ai bénéficié des conseils de plusieurs amis scénaristes, dont le regard extérieur m’a été précieux.

Est-ce un avantage d’écrire soi-même le scénario du film qu’on réalise?

Cela peut aider. Le réalisateur doit tout savoir de l’histoire et être en mesure d’en parler aux comédiens, qui veulent savoir pourquoi leur personnage est triste ou alors décide de s’en aller. Autant de questions dont le scénariste connaît forcément les réponses puisqu’il a inventé l’intrigue et les personnages.

La musique occupe une place importante dans votre film. L’intégrez-vous déjà au moment de l’écriture?

Quand j’écris un scénario, je suis très attentif au rythme - normal, je suis aussi musicien. C’est pourquoi j’indique à certains moments la présence de la musique; je ne précise pas le titre du morceau, je mets simplement qu’il y a une chanson triste, joyeuse, etc.

Est-ce que vous écrivez en écoutant de la musique?

Pendant que je planchais sur Der Freund, j’ai joué en boucle une chanson de Sophie Zelmani (ndlr: chanteuse suédoise dont le 7e album, «Memory Loves You», est sorti en 2007). Cela m’a permis de trouver l’ambiance du film et de m’en imprégner tout au long de l’écriture.

Vous avez écrit plusieurs films pour ou avec des réalisateurs. En quoi écrire pour vous a-t-il été différent?

Il n’y a pas eu de grande différence. La chose qui importe, c’est de savoir qui va lire le scénario. En général, les premiers lecteurs sont les membres des commissions. Pour eux, il est important d’écrire des phrases comme «il secoue la tête» ou «il soupire». Cela ne veut pas dire que les comédiens vont l’interpréter de cette manière, c’est une manière d’intégrer des éléments visuels et de suggérer le rythme de la scène. Dans Der Freund, il y a des scènes où Emil parle très peu mais où il joue néanmoins un rôle central; il est important de décrire ses réactions, faute de quoi on l’oublie.

Allez-vous de nouveau écrire pour d’autres réalisateurs?

Je peux tout à fait m’imaginer écrire un scénario pour un autre, mais de préférence pour quelqu’un que je connais et dont l’univers m’est proche. De même, je ne suis pas contre l’idée de travailler avec des scénaristes sur un projet de film que je réaliserais.

Par rapport à la Suisse romande qui est un petit marché, la Suisse alémanique présente-t-elle davantage de débouchés pour les réalisateurs et scénaristes?

Nous ne sommes pas plus avantagés que les Romands, même si le bassin de population est plus important. Les films en dialecte sont difficilement exportables en Allemagne, à moins d’être sous-titrés. Sans compter que nous ne pouvons pas faire appel aux comédiens allemands, contrairement aux réalisateurs romands qui se tournent régulièrement vers les acteurs français.


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