Par Miklos Gimes, journaliste et cinéaste – juillet 2015
ROMANS D’ADOS est le titre d’un documentaire de six heures, mandaté par la RTS, sur des adolescents à diverses étapes de leur développement. Le premier tournage a eu lieu en 2003, et les quatre parties ont été diffusées sept ans plus tard. Le titre tient sa promesse: ROMANS D’ADOS a l’intensité d’un roman, alors qu’il raconte, avec les moyens classiques du film documentaire, le quotidien de quelques adolescents sur une période de six ans. On se sent proches des personnages – un peu comme si on faisait partie de leur famille.
La division entre les genres documentaire et fiction est-elle donc artificielle?
Telle était la question de fond du séminaire en juin 2015 à Berne, ‹Ancré dans le réel: Mise en scène et travail documentaire – au croisement entre film de fiction et documentaire›. Conçu par Anna Luif et Edgar Hagen, il a réuni, pour débattre du sujet, Béatrice Bakhti, (ROMANS D’ADOS), Stefan Haupt (DER KREIS/LE CERCLE), Yaël André (QUAND JE SERAI DICTATEUR) et le chef-opérateur Michael Hammon. Ce dernier a travaillé comme réalisateur documentaire avec Pepe Danquart, puis a contribué à façonner le style fictionnel d’Andreas Dresen. Il y avait aussi l’auteure Susanna Schwager qui, avec ses romans documentaires, suit un itinéraire littéraire singulier.
Comment Béatrice Bakhti parvient-elle, dans ROMANS D’ADOS, à donner l’impression que le film est mis en scène? Les dialogues sont si sincères et directs qu'ils semblent tirés d'un scénario menant au cœur des conflits d’ados. Pourtant son approche n’a rien d’une mise en scène; elle n’est qu’une application cohérente de quelques règles fondamentales du film documentaire. ROMANS D’ADOS illustre l’adage selon lequel les films documentaires véhiculent en première ligne des émotions. Le contexte idéologique, moral et historique, ne vient qu’après. Ceux qui ont fait ce film ne voulaient pas se dissimuler pour observer silencieusement. Au contraire, leur présence se veut patente. La caméra a tourné sans être cachée… jusqu’à être oubliée. Pour le son, ils ont choisi de travailler avec une perche plutôt qu’avec un micro cravate, afin d'accentuer la ‹visibilité› des cinéastes. Qui veut capturer des émotions a besoin de temps. Il était donc indispensable que la RTS s’implique dans le projet de façon généreuse et sans excès de bureaucratie.
La documentariste belge Yaël André a monté des centaines de bobines super 8 auxquelles elle a ajouté du texte et de la musique; QUAND JE SERAI DICTATEUR est un film libérateur qui réunit le banal et l’artificiel de façon originale. « Il faut laisser de la place à l’imaginaire des gens, tout en leur donnant assez d’informations pour qu’ils ne soient pas perdus », dit Yaël André. Elle nous rappelle, à nous les Suisses si politiquement corrects, d’oser risquer toutes les libertés. « On fait les films que l’on doit faire », est l’une de ses phrases-clés. Stefan Haupt voulait tourner un drame historique sur un club d’homosexuels dans les années cinquante, mais pour des raisons financières, il a intégré dans DER KREIS/LE CERLE des éléments documentaires qui relient le film au présent, ce qui soulève la question de savoir si les éléments documentaires servent la crédibilité d’une fiction qui – bien que soigneusement documentée – reste une fiction. Ou le documentaire ne fait-il pas office d’amplificateur d’émotions d’une histoire et la rend d’autant plus ‹vraie›? Stefan Haupt a relevé que la ‹réalité› captée par son documentaire a déjà été dépassée par des propos tenus par les protagonistes du film, ouvrant ainsi la porte sur un nouveau sujet. Autrement dit, la réalité ‹prouvée› par un documentaire n’est, la plupart du temps, que la capture d’un moment, une vérité provisoire.
Michael Hammon, chef-opérateur d’Andreas Dresen, a décrit une approche diamétralement opposée qui, avec les moyens de la mise en scène, génère une authenticité telle que l’on dirait du documentaire. Hammon a raconté comment les acteurs et l’équipe de tournage improvisent pendant des semaines, que chaque prise est différente, l'usage de sa caméra similaire à celui du tournage d'un documentaire.
A la question réalité ou fiction, c’est l’auteure Susanna Schwager qui donne une réponse bien en dehors des sentiers battus. Ses textes sont une caisse de résonance pour des histoires qui lui sont contées et qu’elle condense en un langage à part - qui a un effet authentique, mais, en même temps, est chargé d’artifice dramatique.
Réalité? Fiction? Tant que nous vibrons avec les personnages, beaucoup est permis. Nous faisons des films, pas des encyclopédies.
Miklos Gimes, journaliste et cinéaste